Le monde est grand, le monde est beau.
Debout sur une des chaises de la bibliothèque, Aela, 3 ans et déjà briseuse d’interdits, feuillette le lourd ouvrage ouvert sur la table. Les gravures aux couleurs un peu passées se mêlent à l’encre pour y créer des histoires. Histoires dont la petite fille ne comprend absolument pas la teneur. Mais elle s’en fiche complètement. Les histoires, elle les a dans sa tête. Pas besoin de savoir lire pour comprendre que cette femme aux curieuses oreilles de chat va terrasser le golem qui se tient devant elle. Menaçant. Terrifiant. Elle avait intérêt à ne pas le louper si elle ne voulait pas finir comme sa peluche de nounours rose qui avait fait un petit saut de 15 étages. Douloureusement. Pauvre monsieur Jumpy.
Madame Alvec débarqua dans la bibliothèque, un petit peu essoufflée d’avoir cherché sa fille partout alors qu’une seconde lui poussait dans le ventre. Alea grimaça. C’était moche un bébé. Alors une sœur…
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C’était tout petit, tout rose, tout fripé. Mais surtout ça avait deux grands yeux verts qui vous regardaient avec curiosité. Ou alors ils regardaient le vide. Mais curieux ou pas, ces yeux étaient devenus la chose la plus précieuse au monde pour Aela. Ils semblaient tellement fragiles…
« Mademoisele Aela, revenez tout de suite ! »
Du haut de ses onze ans (et surtout des 4 mètres qui la séparaient du sol maintenant qu’elle était perchée dans un arbre), la gamine soupira. Elle ne risquait rien, elle l’avait déjà fait des centaines, non sûrement des milliers de fois ! Pourquoi fallait-il toujours que des nounous à la ramasse viennent mettre leur grain de sel dans les seuls moments de liberté qu’elle avait.
« Mademoiselle s’il vous plaît. C’est dangereux et votre cours d’algèbre va commencer dans 10 minutes ! »
Aela grimaça. Ah oui, c’était pour ça. Fichus cours d’algèbre, de danse, de diplomatie et elle en passait ! Il lui arrivait souvent de se dire que la vie serait sûrement plus facile si son père n’avait pas était un des hauts diplomates de Sunala. Elle aurait pu jouer dans le parc toute la journée si ça n’avait pas été le cas (et oui, l’idée qu’elle aurait dû aller à l’école ne l’avait même pas effleurée).
« Mademoiselle Aela ! »
Dernier soupir puis l’enfant se résigna enfin et descendit du tronc d’arbre sur lequel elle était perchée.
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« Arrière monstre ! »
Aela brandissait fièrement sa branche de bois, dernier rempart entre elle et un pauvre écureuil qui n’avait rien demandé. Elle fit tournoyer son arme et l’animal s’enfuit à toutes pattes vers l’arbre le plus proche.
« C’est ça sal lâche ! Fuit tant qu’il est encore temps ! »
Derrière elle, Amélie pouffa. Aela se retourna brusquement sur le bonbon bleu turquoise qui lui servait de sœur (faut dire qu’entre toutes ces couches de vêtements, c’était difficile de trouver une jeune fille de 14 ans).
« Et voilà mademoiselle, le danger est écarté. Nous pouvons dès à présent poursuivre cette agréable promenade dans les forêts de la Planète Verte. »
Nouveau rire. Mais cette fois-ci ce fut en cœur que les deux sœurs s’esclaffèrent. Depuis qu’elles étaient toutes petites, leur mois de vacances sur la Terre des Eaux était le plus beau de l’année. A chaque fois, elles arrivaient à un moment ou à un autre à échapper à la surveillance de leur mère et de leurs professeurs pour se perdre en forêt au-delà de la propriété. A chaque fois elles revenaient à la tombée du jour, couvertes de terre de la tête aux pieds (enfin, surtout Aela) et chaque fois s’en suivait un sermon de deux bonnes heures de la part de leur père. Quand il était là. Il paraissait qu’elles devaient tenir leur rang, être de vraies demoiselles et gniagniagni et gniagniagnia. Cette vie plaisait peut-être à Amélie qui excellait dans beaucoup de matière académiques aussi bien qu’en public mais pour Aela c’était vraiment ch*ant. Elle s’ennuyait à mourir dans cette prison dorée dans laquelle elle avait grandi et ne manquait jamais une occasion d’aller boire sur les docs de Sunala avec une bande d’amis plus ou moins douteux. Ce qui bien sûr mettait ses parents hors d’eux.
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« J’me barre ! »
Ce fut la dernière phrase à ce jour qu’Aela adressa à ses parents. A 20 ans, exaspérée par la vie qu’elle menait et surtout par l’arrivée d’un soi-disant « fiancé » (un crâne d’œuf de la haute ayant autant de personnalité qu’un melon ayant passé 3 jours en plein soleil), Aela avait claqué la porte, descendu les 15 étages qui la séparaient de la rue et avait sauté dans la première navette qui partait pour la Planète Verte. Elle ne s’inquiétait pas pour Amélie. Celle-ci avait grandi (un peu trop au niveau de sa poitrine au goût d’Aela) et nageait dans les hautes sphères de Sunala comme un poisson dans l’eau. Pas comme elle quoi. Elle, elle devait plutôt ressembler à une espèce d’éléphant de mer. Ou à une vache lâchée au milieu d’un océan. Ca flottait mal.
Cela faisait déjà 2 ans qu’Aela avait quitté la maison de ses parents et déjà deux ans qu’elle apprenait ce que c’était de vivre sans les énormes moyens de son paternel. Dur. Pour s’en sortir, elle participait à un maximum d’expéditions dans les terres encore inexplorées des trois planètes (même si pour Sunala ça consistait plus à explorer les fonds marins). Même si elles se faisaient rares, il arrivait régulièrement que des régions touchées par les ombres d’Anubis ne donnent plus signe de vie. On partait alors à la recherche de survivants sans trop d’espoir mais aussi de butin pour se remplir les poches. Sur le terrain, Aela avait appris les rudiments de la médecine grâce à un chirurgien qui participait comme elle à ce genre d’expédition et qui l’avait prise sous son aile quand il avait vu qu’elle était incapable de différencier une banane d’une tomate (ba, ça arrivait directement dans l’assiette avant…). Cela se révélait régulièrement utile et Aela était fière d’avoir enfin trouvé sa « voie ».